Les invités d’honneur
du SoBD 2022
Chaque année, le SoBD met à l’honneur deux personnalités de la bande dessinée : un artiste et un auteur de textes sur la bande dessinée. En 2022, le SoBD accueille Loo Hui Phang, scénariste et réalisatrice au parcours aussi divers qu’illustre, ayant remporté de nombreux prix grâce a ses talents de narratrice et fine observatrice de la condition humaine. À ces côtés, Pierre Fresnault-Deruelle, chercheur ayant dédié sa vie à l’analyse des images et à leur capacité à créer des sens au-delà même du texte.
Loo Hui Phang
& Pierre Fresnault-Deruelle
Invités d’honneur du SoBD 2022
Loo Hui Phang
Troisième femme artiste invitée d’honneur du SoBD, Loo Hui Phang est une artiste polygraphique, ayant toujours un projet sous le bras. Née au Laos en 1974, elle grandit en Normandie où elle fait des études de lettres modernes et de cinéma. Scénariste de BD, réalisatrice de cinéma, artiste d’installations, photographe, romancière : sa carrière créative, vaste et diverse, lui a valu de nombreuses distinctions.
Ses premiers pas dans la BD sont co-signés avec Jean-Pierre Duffour : ils réalisent tous deux plusieurs livres pour enfant chez Casterman et Hachette. Avec le dessinateur bruxellois Cédric Manche, elle publie en 2004 Panorama aux éditions Atrabile (dont l’adaptation cinématographique remportera le prix du Nouveau Regard au Festival international GBL de Turin), suivi trois ans après de J’ai tué Geronimo. C’est déjà un style très personnel qui s’installe, dans lequel Loo Hui Phang nous révèle un univers poétique constitué de récits intimes où l’identité, le sexe et la mémoire jouent un rôle prépondérant et définissent la couleur des débats internes de personnages toujours en quête d’eux-mêmes.
On y trouve de nombreux motifs qui traverseront son œuvre avec constance, et notamment animaliers : chevaux et créatures aquatiques font de régulières apparitions dans ses livres. Avec un tempo flâneur et souvent discontinu, ses histoires tissent un équilibre fin entre la sensualité et l’élégance du graphisme et les métaphores sexuelles qui parsèment ses récits (sans se refuser d’aborder directement les aspects les plus crus de la nature humaine). Ses univers mystérieux refusent les simplifications contrastées qui sont coutumières, préférant les nuances grises du lavis, où chaque vérité est l’expression d’une expérience personnelle.
Un an plus tard, elle sort Prestige de l’uniforme, cette fois avec Hugues Micol (artiste qui signe le dessin de l’affiche du SoBD cette année) nous offrant sa version très personnelle d’un récit de super-héros. Cette collaboration lui vaut une nomination au prix du dessin à Angoulême en 2006 et le prix littéraire de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur en 2007. Avec le même Micol, doublé cette fois de François Olislaeger en 2009, elle conçoit Cache-cache à La Ferme du Buisson, une performance mêlant danse, dessin et vidéo.

Loo Hui Phang. Invitée d’honneur du SoBD 2022. Photo : Gil Lesage
Le début de la décennie suivante est pour Loo Hui Phang l’occasion de se frotter, aux côtés de Michaël Sterckeman, à la “grande histoire” dans le diptyque Cent mille journées de prières, paru chez Futuropolis. Entre roman de fiction et récit semi-personnel, elle explore le conflit cambodgien et ses horreurs à travers le regard d’un enfant tentant de découvrir ses origines et les secrets de sa famille. Comme pour ses précédents albums, le réalisme de la condition humaine se mélange aux rêves et aux fantaisies du protagoniste afin d’offrir une vision tout aussi unique que sensible sur l’une des grandes tragédies de l’humanité.
Quelques mois après, sous le même label, elle publie Les enfants pâles, avec Philippe Dupuy aux crayons. Dans ce grand roman graphique, elle continue d’étudier les instances de beauté et de cruauté intrinsèque à la nature humaine, à travers le récit d’une bande d’enfants ayant pris fuite vers la forêt, autre évocation, cette fois moins directe, du génocide opéré par les Khmers rouges.
Les années deux mille dix, décidemment prolifiques, voient Loo Hui Phang sollicitée tant sur la scène hexagonale qu’internationale : elle élabore des performances, des installations artistiques et des mises en scène théâtrales tout en maintenant le rythme de ses publications. On citera notamment L’Odeur des garçons affamés, dessiné en 2016 par le Suisse Frederik Peeters, un titre récompensé du Prix Landerneau. L’année suivante, c’est Angoulême qui met son talent à l’honneur lors d’une exposition-installation Synoptique, avant que le Taipei Art Festival l’invite à présenter le spectacle Outside.
En 2019, elle signe son premier roman, L’Imprudence, publié chez Actes Sud, et obtient le Prix Léopold Senghor en 2020. La même année, elle est adoubée du prix René Goscinny pour le scénario de son roman graphique Black-out (Futuropolis), à nouveau réalisé en collaboration avec Hugues Micol. On y retrouve de nombreux motifs présents dans d’autres de ses livres, dont la figure de l’indien, allégorie des invisibles : ceux qui sont là mais qu’on ne voit pas.
Sa présence au SoBD comme invitée d’honneur de la douzième édition du salon de la bande dessinée au cœur de Paris inaugure donc une nouvelle décennie, dont on peut présager qu’elle sera aussi féconde que la précédente. Sont ainsi attendus en 2023 un récit dessiné par Benjamin Bachelier et, chez Atrabile, L’Île nue, troisième tome de la trilogie engagée vingt ans plus tôt.
Œuvres de Loo Hui Phang que vous pourrez consulter au SoBD 2022
Pierre Fresnault-Deruelle
Pierre Fresnault-Deruelle, né en 1943, fut l’un des premiers chercheurs à soutenir une thèse de 3e cycle (1970) sur la bande dessinée (publiée en 1972 chez Hachette-littérature sous le titre La Bande dessinée, essai d’analyse sémiotique). Cette thèse, il l’élargit pour son doctorat en lettres (Paris X, 1980). Il rejoint ensuite l’Institut Universitaire de Technologie de Tours comme assistant avant d’être nommé professeur des universités en 1980. Entretemps, il aura poursuivi son travail d’étude de la BD : en 1977, paraissent Récits et discours par la bande. ainsi que La Chambre à bulles, essai sur l’image du quotidien dans la bande dessinée. Ses livres suivants portent sur d’autres images que celles de la bande dessinée, puisqu’il se penche successivement sur les usages de l’image (L’Image manipulée, 1983), l’affiche (L’Image placardée, 1997) ou encore la peinture (Des images lentement stabilisées, quelques tableaux d’Edward Hopper, 1998). Ayant rejoint l’université de Paris I Panthéon Sorbonne au début des années quatre-vingt-dix, il y crée le « Mucri » (Musée Critique de la Sorbonne).
Portant ses attentions sur l’image fixe (BD, tableaux, affiches, couvertures de magazines, photographies, logos, etc.), il axe ses analyses sur la question suivante : « qu’est ce qui fait qu’une image me choisit plutôt que l’inverse ». Outre la sémiologie qu’il accommode à sa manière, un peu de psychanalyse vient ainsi se glisser dans son travail ainsi qu’une once de rhétorique. La bande dessinée ne quitte pas pour autant le champ de ses réflexions, comme en témoigne Hergé ou les secrets de l’image, un titre qui paraît en 1999, comme pour saluer la place du 9e art dans la fin du millénaire.
Esprit curieux et toujours inquiet, nous lui devons une grosse vingtaine d’ouvrages, dont une moitié spécifiquement consacrée à la bande dessinée, et sans compter des dizaines d’articles publiés par des revues académique. D’entre ceux-là, on ne manquera pas de mentionner son texte « Du linéaire au tabulaire », paru dans le fameux numéro 24 de la revue Communications (1976), qui soutient encore de nombreuses réflexions sur le neuvième art. Au-delà de la sphère universitaire, Pierre Fresnault-Deruelle tiendra encore une chronique sur les affiches publicitaires dans la revue de design Étapes.

Pierre Fresnault-Deruelle, dans son bureau de Tours, lisant un livre de Loo Hui Phang et Philippe Dupuy.
Dans ses derniers ouvrages, Pierre Fresnault-Deruelle revient à ses premières amours, le classicisme du neuvième art franco-belge. On lui doit ainsi Edgar Pierre Jacobs ou l’image inquiétée (PUFR, 2016), Les Rêves de Tintin (Georg, 2017) ou encore Le Retour de l’Indien, une lecture des 7 boules de cristal, (Sépia, 2021).
C’est donc un demi-siècle d’études sur la bande dessinée que le SoBD célèbrera en la personne de Pierre Fresnault-Deruelle qui fut, rappelons-le, l’un des rares universitaires à s’attacher à la bande dessinée, bien avant l’effervescence que le neuvième art suscite depuis une douzaine d’années au sein des milieux académiques. Un demi-siècle d’études sur la BD, et plus encore, puisqu’on attend, pour le SoBD, Tintin ou la malédiction déjouée, une lecture du Temple du Soleil (Sépia) ainsi qu’une version largement amendée et augmentée de La Profondeur des images plates (Moulinsart, 2016, nouvelle édition chez Georg sous le titre Hergé : l’esprit d’une œuvre).
Toujours attentif à mettre en avant les discours sur la bande dessinée, le SoBD est heureux de rendre hommage cette année à l’un des pionniers de la pensée critique sur le neuvième art.
Loo Hui Phang et Pierre Fresnault-Deruelle seront tous deux présents sur le SoBD le samedi 3 décembre 2022, à l’occasion du Cycle des invités d’honneur. Il s’agit d’une série de trois tables rondes permettant de découvrir et d’approfondir le travail de Phang. Aux côtés d’autres invités (Christian Rosset, Singeon Waters et Jeanne Puchol), ils reviendront sur leur parcours et leurs engagement, mais aborderont également le style de celle-ci, ainsi que les thématiques et les problématiques récurrentes dans son travail. Une sélection de planches scénarisés par Phang fera également l’objet d’un accrochage au Musée éphèmère, où l’on pourra admirer une soixantaine de pièces, essentiellement originales.
Œuvres de Pierre Fresnault-Deruelle que vous pourrez consulter au SoBD 2022
Précédentes éditions
les invités d’honneur du SoBD depuis 2012